L'Upcycling, pratique radicale de la Transformation

The Art of Transformation

" Pour moi upcycler, ce n’est pas décorer : c’est transformer, c’est bouleverser le vêtement, soi-même, le monde. C’est une philosophie totale du relooking. "

Anne : Hello Maroussia ! Tu pratiques l’upcycling, c’est-à-dire donner plus de valeur à un objet de seconde main en le valorisant plutôt qu’en le recyclant – le détruire pour récupérer ses fibres. Qu’est-ce qui t’intéresse dans la valorisation de la fripe, voire des vêtements de la poubelle ?

Maroussia : Ma pratique de l’upcycling est articulée autour de deux processus de métamorphose : une vision radicale de la valorisation d’objet et le potentiel de transformation infini que produisent mes workshops et performances. Je prends des vêtements dans les montagnes de rebut et je les découpe en travers du patron, je colle des univers à l’envers, j’investis l’intérieur des doublures. Ces créations sont autant de nouveaux espaces qui amènent les partcipant.es à se réinventer dans une fête radieuse, un catwalk de mutants. Pour moi upcycler, ce n’est pas décorer : c’est transformer, c’est bouleverser le vêtement, soi-même, le monde. C’est une philosophie totale du relooking.

" Ma pratique de l’upcycling est articulée autour de deux processus de métamorphose : une vision radicale de la valorisation d’objet et le potentiel de transformation infini que produisent mes workshops et performances. "

Anne : La paternité du mot ‘upcycling’ est attribuée à Reiner Pilz, ingénieur mécanique et architecte d’intérieur, fin 1994 : « Le recyclage… j’appelle ça du downcycling.  On détruit les briques, on détruit tout. Ce dont on a besoin c’est d’upcycling, de donner plus de valeur aux vieux produits ; pas moins. ». Ce concept a ensuite infusé dans les pratiques et le langage au courant des années 2000-2010. L’expression upcycling est donc venue se poser a posteriori sur ta pratique et tu l’as pleinement embrassée – tout en en faisant l’expression d’un art particulier. Quelle est cette particularité ? 

Maroussia : Ma pratique date de 1997, alors que le mot upcycling n’existait pas encore dans le langage. Je pouvais donc inventer tous les codes que je souhaitais sans avoir à m’affilier aux pratiques et esthétiques qui allaient suivre la formalisation du concept. 

Dans le textile par exemple, l’upcycling rassemble nombre de techniques d’amélioration, comme la customisation, le dying, le visible mending, le rework, le print… On augmente alors la valeur du vêtement en décorant sa réparation. La pratique que j’ai développée,  n’est pas décorative, elle est structurelle. Elle se concentre plutôt sur le bouleversement des contextes, une valorisation radicale de la pièce choisie. Ce n’est pas un upcycling de la tendance mais de la transcendance, un mouvement de fond qui démarre dans une montagne de fripes installée dans un centre d’art.

" Ce n’est pas un upcycling de la tendance mais de la transcendance, un mouvement de fond qui démarre dans une montagne de fripes installée dans un centre d’art. "

Anne : Justement, pourquoi ta pratique s’est-elle portée sur le vêtement ? 

Maroussia : Le vêtement de récupération est un médium de choix pour déployer une pratique de la transformation à grande échelle car il est souple, facile à travailler, omniprésent et hautement sociologique. 

Le vêtement est peut-être le plus fort des signifiants sociaux : il charrie le déterminisme social de classe, de genre, de morphologie… Il nous catégorise. Mais si on sort de la case et qu’on s’empare de son pouvoir, c’est une seconde peau que l’on choisit, une mue : quand on se change, on se change soi-même et on choisit qui l’on veut être, où on veut aller. 

Tordre l’usage du vêtement, c’est réaliser une sculpture où le porteur, lui aussi, devient sculpture. La performance qu’il choisit tord la performance sociale de ce qui doit être, de la normalité. Il bouleverse notre intelligibilité habituelle du monde.

" (...) si on sort de la case et qu’on s’empare de son pouvoir, c’est une seconde peau que l’on choisit, une mue : quand on se change, on se change soi-même et on choisit qui l’on veut être, où on veut aller. "

Anne : Tu installes une corrélation entre transformer son habit et se transformer soi-même, puis entre se transformer soi-même et transformer le monde. Cela rappelle le designer et chercheur écologique Victor Papanek, pour qui « le design est l’outil le plus puissant que l’homme a en sa possession pour former ses produits, son environnement et par extension, lui-même ». Comment constates-tu ce continuum d’upcycling du vêtement au collectif ?

Maroussia : C’est mis en évidence par l’avant-garde que j’ai créée avec le mouvement Andrea Crews – mon avatar designer, entrepreneur, producteur de soirées, de performances, de défilés. Andrea Crews a attiré une scène artistique iconoclaste et décomplexée qui a toujours porté les valeurs que nous ne formalisons qu’aujourd’hui : inclusivité, seconde main, éco-conscience, body-positivisme… Chaque workshop ou performance est une fête, un endroit de liberté et d’empowerment formidable pour tous les types de peau, de corps, de classes sociales, de vies. Ma pratique de l’upycling a amené à un espace d’expression pour ces problématiques, qui n’avaient à nos débuts même pas de mots, et qui se déclinent aujourd’hui en hashtags et en tendances.

" Andrea Crews a attiré une scène artistique iconoclaste et décomplexée qui a toujours porté les valeurs que nous ne formalisons qu’aujourd’hui : inclusivité, seconde main, éco-conscience, body-positivisme… "

Anne : C’est intéressant que tu te glisses derrière ton alter-ego Andrea Crews dès que tu parles du groupe. Pour moi c’est ton énergie sociale d’artiste, celle que tu tournes vers les autres. Et justement Papanek ajoutait : « Le designer n’est logiquement rien de plus (et rien de moins) qu’un outil mis entre les mains du peuple ». 

« Everybody is Andrea Crews » fait partie intégrante de ta pratique de l’upcycling : Andrea Crews est un projet open-source, comme tes workshops et tes performances, comme tu participes toi-même à transformer le monde. Comment les gens se réapproprient-ils cette transformation ?

Maroussia : En participant à un workshop ou une performance Andrea Crews (je pense notamment aux Nuits Blanches), on a jubilé devant les possibilités infinies de la montagne de vêtement, on a assemblé de façon brutaliste un outfit qui nous ressemble et on a vécu une expérience forte sur le catwalk. On en sort transformé de l’intérieur et de l’extérieur, tant pour le participant que pour le spectateur.

" On en sort transformé de l’intérieur et de l’extérieur, tant pour le participant que pour le spectateur. "

Le bouleversement est là, les cartes sont redistribuées, on a gouté à une nouvelle liberté et à une nouvelle façon d’interagir avec les autres, à la créativité collective. Quand on se sent tiré vers le haut, on veut réinvestir cette énergie dans le monde, avec des valeurs fortes. L’upcycling est une pratique radicale de la transformation.

Propos recueillis et mis en forme par Anne Plaignaud